mercredi 2 février 2011

La Girafe (deuxième du nom)

Habituellement, le matin dans sa rue ça sent les crêpes de chez Maxime, en face de chez lui. Seulement, ce matin, Maxime n'avait pas ouvert la crêperie. Il avait ouvert la bouche, horrifié, et avait déchiré en un cri le sommeil des voisins, le brouillard du matin et peut-être ses cordes vocales. Ce matin, ça ne sentait pas les crêpes, ni le cidre chaud, mais bien le sang coagulé dans l'eau de pluie.

Commençons par le commencement

C'était hier, à partir du moment on imagine qu'aujourd'hui existe. C'était hier il faisait froid comme en hiver le vent faisait siffler dans les cheminées comme contre les fenêtres un froid dans le dos un souffle glacial un murmure de mauvais augure et les gens se rapprochaient du feu crépitant de l'insert ou essayaient de coller leurs mains au poêle leurs fesses aux radiateurs augmentaient le son de la télévision sans se soucier d'être sourds tant qu'ils se sentaient un peu plus protégé du vent infernal de l'extérieur qui glaçait tellement les os que ces derniers menaçaient alors de se briser en quelques milliers de bouts d'ivoire sans pourtant valoir le moindre centime. Ou alors. Ou alors les gens face à ce déluge cet impressionnant caprice de la nature cette haleine hivernale ne trouvaient rien d'autre de mieux à faire que de plonger leurs mains dans les assiettes de frites grasses ou leurs moustaches dans la soupe en faisant Gluuurp Gluuurp en esquivant les politesses, en esquivant les regards des enfants qui réclamaient de la tendresse qui lançaient des signaux de détresse "Va au lit" ça ira peut-être mieux...Les enfants, les épisodes de Batman qu'ils regardaient pourtant avec plaisir le dimanche matin les empêchaient désormais de dormir, car dans le souffle du dehors, ils semblaient entendre ricocher contre les murs des bâtiments, le rire du Joker. Un rire horrible, un rire odieux, et paradoxalement plein de joie, peut-être la plus pure des joies. La joie première, que l'on ne ressentirai qu'en étant parfaitement...Joyeux. 
Mais cette nuit finit par passer.
Dans une lutte effroyable avec les draps et la sueur, la sueur froide, les pressentiments qui toquaient aux fenêtres, brutalement, sournoisement.
Il n'y eut pas de lendemain, même si la nuit était passée.
Car un lendemain, c'est un petit-déjeuner, c'est rester en pyjama sur le canapé à regarder avec nostalgie des mangas plus ou moins bien animés. Ce n'est pas en tout cas, non ce n'est pas, sortir dans le froid et tomber sur un cadavre et son sang recouvrant la route. Cet animal, car oui, c'était un animal, avait été salement traité. On sait pas ce qui était arrivé pour qu'il se trouve ainsi démembré, un véritable massacre, mais ce qui était sûr, c'est qu'on lui voulait du mal. Les policiers, encore choqués, se mirent à interroger les habitants de la tranquille petite rue, un à un. C'était d'abord la crémière, et son gros cul, qui furent interrogés, gentiment, qu'avezvousfaithiersoir, qu'avezvousvuhiersoir, quelqu'unpeutilconfirmervotreprésenceàtelleheuretelendroit? Très bien, AU SUIVANT!
Le boucher et son air patibulaire, la vieille peau radine et son gendre coincé, la fille de l'oncle du parrain au mec qui tient la boutique d'électroménager, tous y passèrent comme dans une partie de Cluedo géante.

Mais il n'y avait pas de Colonel Moutarde.

Les policiers n'eurent pas le choix que de tourner un peu en rond avant d'annoncer que l'enquête risquait d'être classée sans suite. Ils rangèrent leurs matraques dans leurs étuis à matraque. On enterra l'animal dans une immense tombe sur laquelle on déposa des poèmes et des mots d'amour, de gens trop lâches pour les avoir dit quand il était temps, encore. Le vent soufflait, à déraciner les perruques et les arbres tristes, qui secouaient leurs branches au rythme de la cornemuse. Puis il plut. Un peu, quelques gouttes sur le maquillage grossier des commères du quartier. Puis beaucoup, assez pour tremper complètement les sales gosses qui habituellement étaient occupés à planter des pétards dans le cul des matous. Tout le monde rentra chez soi et malgré le temps, qui s'y prêtait, personne ne but de tisanes ou de chocolats chauds, personne ne sortit le Monopoly qui prenait la poussière. Personne n'essaya même de faire quelque chose de purement, naturellement, essentiellement bien. Personne.

Puis le temps passa.
D'abord le sale temps, il arrêta de venter, il arrêta de pleuvoir, il arrêta même un peu de faire froid.
Et, puisque ça va de paire, les semaines passèrent aussi, laissant leur place à de nouvelles semaines, à de nouveaux mois, comme chaque année, en fait.

C'est alors qu'une surprise de taille arriva un matin dans le commissariat. Non ce n'était pas un nouveau parfum dans la gamme déjà suffisamment fournie de leurs Donut's préférés, ni même la rutilante machine à café qu'ils avaient commandé il y a quelques jours. Pour celle-là, le livreur les avait prévenu d'un fort probable retard. Non, la vraie surprise, ce fut les aveux, de Joseph, le cousin de Maxime qui bossait avec lui à la crêperie. Il avait tué l'animal. 

C'est ici qu'ils auraient tous entendu une musique de suspense si ce n'était pas qu'une nouvelle débile.

Il avait tué l'animal. Oui. Depuis quelques mois, expliquait-il, il entretenait des rapports ambigus avec la victime et alors que ça devenait sérieux, sa femme, à lui, Joseph, commençait à se douter de quelques chose. Refusant de subir un quelconque chantage, il décida d'éloigner l'animal de sa vie, de gré ou de force. Un soir, il saisit une hache, et s'éloignant du lit conjugal où sa femme droguée au Lithium ne se rendait compte de rien, il donna rendez-vous à l'animal, juste devant la crêperie. Ce n'était pas avec une seule goutte de sang-froid qu'il s'exécuta aussi méthodiquement, c'était parce qu'il avait vu comment faire dans les films disait-il. D'ailleurs, l'endroit choisi n'était pas très judicieux. Il raconta qu'une dispute éclata entre lui et la victime, qui n'en était pas encore tout à fait une. Il la gifla. Il la frappa. Puis il lui trancha son long cou. Et pris dans le rythme de la colère passionnelle, il la démembra complètement, il fit un carnage, pour effacer peut-être, leur histoire, dans le sang et l'eau de pluie.
Abasourdis, les policiers mirent du temps à réagir. L'un d'eux faillit d'ailleurs s'étouffer avec un Donut's. A la fraise si vous voulez tout savoir. Mais cette histoire horrible fut rapidement oubliée, quand on mit enfin sous les barreaux, l'assassin de la girafe.

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