mercredi 2 février 2011

Incipit Acide du Lait

« Il y a du poison partout, dit la plante carnivore (…) »
Même dans le sucre d’un conte pour enfant, dans un monde coloré mais en colère.

Acide du Lait
Partie I: Koalas, Fées et Moustaches
Chapitre I d’une histoire sans nom :

Bordant la splendeur immaculée du lac de Lait, il n’y avait que des buveurs de bières. Adam trouvait ça dommage de gaspiller autant de beauté, autant d’efforts déployés par une Nature complexe devant des êtres aveugles et insensibles. 
Adam était un jeune garçon d’un âge inutile, qui habitait la région tout seul, pas de parents et peu d’amis. Il aimait cet endroit autant qu’on peut aimer l’endroit qui nous a vu naître, l’endroit qu’on connaît le mieux sur Terre et qui nous connaît malgré lui. C’est pourquoi Adam s’énervait contre ceux qui ne voyaient pas la beauté quand ils la foulaient de leur rangers sales. Et pourtant la beauté, il était difficile de ne pas la voir ! Lorsque des nuages d’or surplombaient le lac de Lait, toute la forêt alentour semblait divine, crachée directement de la bouche d’un artiste. La maison d’Adam n’était pas loin du lac. C’était un hybride de maison et de cabane, faite de bois et de pierres. Le bois, constituait la majeure partie la bâtisse : tout l’intérieur et une partie des murs extérieurs. Les pierres, elles, renforçaient les fondations et étaient surtout la principale décoration du jardin. Adam s’amusait à empiler plusieurs de ces pierres rondes et aplaties ; il créait ainsi des structures étranges qui donnaient à son habitat une aura très particulière. De l’étage, où il s’était installé un petit balcon, il aimait observer le lac de Lait s’animer fougueusement. La créature qui y vivait en était la cause. Da Pulp, comme on l’appelait dans le village d’Adam, était une immense pieuvre cyclope, violette et violente mais passionnée d’arts. Enfin on le supposait : personne n’avait encore pu lui parler. Ah le lac de Lait et ses mystères, c’était comme « une tâche angélique au milieu des montagnes » disait Adam avec complaisance. Ses reflets de nacre le rendaient rêveur, lui faisaient oublier la vérité, la longue distance qui le séparait des belles montagnes. Adam, Adam, Adam, Adam s’ennuyait ici, dans son village. Tout ce qui éveillait en lui le désir d’aventure lui était formellement interdit par la P.U.T.E, la Protection Ultra renforcée contre les Territoires Etrangers. C’est pourquoi il devait se contenter d’observer le lac de loin, impuissant contre les buveurs de bière qui souillaient l’endroit de ses rêves. Alors Adam lisait beaucoup, s’émancipait à sa façon. Il apprenait l’Histoire, la Géographie et tous les mythes et légendes qui concernaient de près ou de loin les territoires frontaliers au village. La forêt par exemple, habitée par un peuple magique, des fées mystérieuses, des Koalas qui parlent, des Trolls immenses… Mais la forêt aussi était hors de portée pour Adam. Adam qui à présent, fermait son livre et son cahier de notes.

Chapitre II d’un conte absurde :
C’est en sueur que Nate s’est réveillé ce matin, un matin triste et con comme les autres. Il sortait encore d’un de ces cauchemars arc-en-ciel : il rêvait d’un bonheur ultime, et l’impossibilité, l’irréalité de ce bonheur le rendait triste. C’était comme un trou noir dans lequel il plongeait à peine réveillé.
Nate était un jeune adulte, plein de bonne volonté et d’amour pour les autres qu’il distribuait d’ailleurs en petits paquets confectionnés à la main. Ses parents étaient morts sûrement trop tôt, dévorés par une créature vivant au-delà des montagnes. Depuis, Nate était bien obligé de se débrouiller tout seul, se cultivant en lisant les Modes d’Emplois de la Vie de Magnus Corradi et gagnant sa vie en vendant des pizzas musicales au bord de la rue. Il était très apprécié dans son village, considéré comme le futur chef grâce à son esprit brillant mais libre. Libre certes, mais occupé : l’esprit de Nate ne pensait qu’à la vengeance, il était sourd aux requêtes que formulaient les villageois. Il voulait juste trouver cette créature infâme et la détruire. Pourtant en tant que chef potentiel, il était du devoir de Nate de s’intéresser aux problèmes majeurs qui angoissaient les habitants et qui devaient, en toute logique, l’angoisser aussi. Et un problème en particulier menaçait la tranquillité du village : la Grosse Pomme, qui alimentait tout son village, était sur le point de se faire envahir par une espèce de fourmis très rares. Ainsi privés de leur principale voire unique source énergétique, les villageois dépériraient à vue d’œil et ce serait la fin, la fin de tout. Il fallait donc réagir.
Mais Nate avait déjà prévu son départ, il avait laissé son altruisme sur le pas de la porte, suite à une violente dispute. Il préparait ses affaires dans sa petite maison excentrée. Dans quelques jours, il serait parti. « Ils se passeront bien de mon amour se disait-il, ainsi que de mes foutues pizzas musicales ». Il panoramiqua soudain sur d’anciennes photos qui pendaient au mur, face à son lit, sur lequel étaient étalées ses affaires. On aurait dit que les cadres étaient retenus par des toiles d’araignée. Sur une, sa famille, tenues d’aventuriers, souriant, ayant attrapé un gros chat-poisson, tout poilu, griffu et nageoiru. On ne trouve pas ce genre de bêtes dans le lac de Lait ni même dans ses alentours, ça prouve que les parents de Nate étaient de sacrés voyageurs. Sur une autre photo… sur une autre riait Clémence, la magnifique Clémence. Une fille mi-bonbon mi-poison, comme un caramel collé aux dents, un chewing-gum à la chaussure, elle avait parasité son esprit des années durant. C’est pour ça que Nate préférait l’oublier. Il ferma les yeux un petit moment, assez pour effacer l’image de Clémence, qui lui fit un clin d’œil avant de partir. Puis il continua de faire ses affaires…Il allait partir, bientôt.

Chapitre III d’une insouciante fable : 
Ce fut l’élément décisif, celui qui le décida enfin à prendre son envol. Adam trouva un hippocampe, chose très rare, sur le bord d’un chemin alors qu’il explorait les extrémités permises par la P.U.T.E. Son regard étoilé, aimanté vers la forêt et les autres lieux inaccessibles que ses livres lui permettaient à peine d’imaginer, se baissa sur le sol et buta sur ce petit hippocampe qui lui offrit le plus grand sourire prêt-à-porter de toute sa vie. Il faut dire qu’avoir un hippocampe, et ce particulièrement dans le village isolé d’Adam, offrait des possibilités inouïes. Adam sentait déjà monter en lui les vertus de l’hippocampe. Il coura le dire à Virginie, une de ses seules amies, soulevé par une joie sans nom. Mais arrivé au village, il sentit ce climat étrange, alors que le soleil se couchait, comme si la nuit avait décidé de lui plomber le moral. Et effectivement, la mauvaise nouvelle lui apparut clairement, lorsqu’il entra dans la douce chambre de la tout aussi douce Virginie. Au milieu des tentures vaporeuses, d’une faible lueur rose, sur le lit à moitié fait, était posée une lettre, écrite sur une fleur fanée, qui lui était adressée : 

« Mon cher Adam, disait la lettre, les M. Moustaches sont arrivés juste avant ton départ, tu dois partir, tu dois mettre ton hippocampe à l’abri. ». 

Abasourdi à ces mots, Adam stoppa net la lecture de la lettre. Comment diable pouvait-elle savoir qu’il allait trouver un hippocampe cet après midi ? Le reste de la lettre ne lui répondit pas, elle lui lança plutôt des mots doux à la volée, de ceux qu’on trouve dans les bocaux des salles d’attente. En sortant de la chambre de Virginie, il vit effectivement par la fenêtre passer un M. Moustache, portant son air con et sa méchanceté en bandoulière, comme un insigne mal nettoyé. Les M. Moustaches étaient les fondateurs d’une faction dissidente de la police du village. Ils étaient souvent routiers, chasseurs, aimaient le sport et possédaient le monopole de la bière et des chips. Ils ne portaient pas tous la moustache, mais bien les mêmes idéaux, avec lesquels ils battaient leur femmes. A ce moment précis, Adam sentait qu’ils étaient ses pires ennemis et qu’il devait absolument leur échapper. Il fallait donc qu’il rejoigne rapidement sa petite maison, qu’il fasse ses affaires et le grand saut en suivant, le grand saut vers une vie loin de la P.U.T.E. Il fit le tour de la maison et rampa dans la fange, les excréments d’ânes bavards qui parlaient de poésie derrière les habitations. L’un d’eux le regarda d’un air mauvais avant de bramer comme un cerf, un vers étrange. C’est couvert de merde comme de poésie, sans pouvoir distinguer ni l’un ni l’autre, qu’Adam rentra chez lui. Ses affaires étaient déjà faites, accompagnées d’un baiser de Virginie que lui fit parvenir un souvenir mélancolique. Pas le temps de se débarrasser de ses affaires sales, ni de l’odeur poétique des ânes bavards, Adam mit son sac sur le dos et sauta du balcon. Il dit au revoir à sa cabane, qui lui répondit dans un grincement gentil. C’est avec émotion qu’il dépassa la P.U.T.E, d’un pas pesant et pesé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire